Méthémoglobinémie

Spécialité : hematologie / pédiatrie /

Points importants

  • Accumulation intra-érythrocytaire de méthémoglobine : dérivé de l’Hb incapable de lier l’O2 = fer ferreux (Fe2+) de l’hème oxydé en fer ferrique (Fe3+)
  • Symptôme : CYANOSE résistante à l’oxygénothérapie
  • Enfant = Héréditaires (rares) : cyanose de naissance (MétHb permanente de 15 à 50 %) par déficit enzymatique congénital
  • Adulte = acquises (toxiques) :
    • médicamenteuse : ALR, soins dentaires, substances illicites
    • professionnelle : industrielles (peintures, herbicides, allumettes)
    • alimentaire / environnementale : chlorates (eau), nitrates (charcuterie)
  • Taux physiologiques :
    • adulte < 0,80 % (de Hb totale)
    • nouveau-né < 1,5 % (prématuré < 2 %)
  • Traitement : bleu de méthylène IV
     

Présentation clinique / CIMU

SIGNES FONCTIONNELS

  • Cyanose
  • Signes d’hypoxie tissulaire corrélés au % de MetHb par rapport à l’Hb totale) :
    • 0-15 % : pas de symptôme
    • 15-20 % : cyanose clinique sang « chocolat »
    • 20-45 % : dyspnée, asthénie, vertiges, céphalées, syncopes
    • 45-55 % : dépression neurologique centrale
    • 55-70 % : coma, convulsions, insuffisance circulatoire, TDR
    • > 70 % : décès possible

CONTEXTE

Terrain

  • Nouveau-né : en salle de naissance
  • Enfant : héréditaire = déficit enzymatique congénital
  • Adulte : acquis = intoxication

Antécédents

  • Enfant : congénital
  • Adulte : pas d’ATCD cardiaque ni pulmonaire

Facteurs de risque

  • Enfant : autosomique récessif
  • Adulte :
    • intoxication médicamenteuse (surdosage ou non) : injection locale / dispositif transcutané d’anesthésiques locorégionaux, soins dentaires, ingestion d’antilépreux
    • ingestion / inhalation / injection de substances illicites type « poppers »
    • intoxication professionnelle : inhalation de solvants industriels, herbicides, explosifs (chlorates, allumettes)
    • intoxication alimentaire / environnementale : eau, charcuterie

Circonstances de survenue (non exhaustives)

  • Médicaments méthémoglobinisants
  • Substances illicites
  • Toxiques professionnels méthémoglobinisants
  • Intoxication alimentaire (composés inorganiques)

EXAMEN CLINIQUE

Cyanose

  • Enfant : cyanose de naissance +/- troubles neurologiques (selon importance du déficit enzymatique)
  • Adulte : cyanose « centrale » :
    • gris ardoisé
    • cutanéomuqueuse diffuse
    • sans cause cardiaque, ni pulmonaire
    • apparition brutale, entre 1h et 24h après l’intoxication
  • Urines foncées (brunes)
  • Signes d’hypoxie tissulaire : CRITERES DE GRAVITE

EXAMENS PARACLINIQUES SIMPLES

  • SpO2 abaissée, souvent sous-estimée
  • Oxymétrie de pouls : % de MetHb par rapport à l’Hb totale (Spectrophotométrie indirecte)
  • ECG : recherche d’ischémie (critère de gravité)

CIMU

  • Tri 2 à 5 en fonction du % de MetHb et des signes d’hypoxie associés
     

Signes paracliniques

BIOLOGIQUES

GDS artériel

  • Mesure du % de MetHb par rapport à l’Hb totale (Spectrophotométrie directe) :
    • pic d’absorption = 630 nm
    • diagnostic différentiel SulfHb (620 nm)
  • Sang brun « chocolat »
  • pH normal
  • PaO2 normale voire augmentée
  • SaO2 normale ou abaissée
  • MetHb > 1 %
  • Critère de gravité : acidose métabolique

NFS

  • Recherche d’une anémie (facteur aggravant)

IMAGERIE

  • Radio de thorax : normale

Diagnostic étiologique

CONGENITAL

  • Déficit enzymatique

ACQUIS

Modalités de l’intoxication (à visée thérapeutique)

  • Inhalation
  • Ingestion
  • Injection
  • Transcutané

Médicaments méthémoglobinisants

  • Benzocaïne (éthyl aminobenzoate) :
    • anesthésie locale :
      • gel dentaire
      • ORL (topiques auriculaires)
      • crème anorectale
      • examen médical / exploration (bronchoscopie, ETO)
  • Prilocaïne :
    • transcutané lidocaïne + prilocaïne crème (EMLA 5%)
    • soins dentaires
  • Dapsone :
    • antilépreux en indications secondaires pour maladies rhumatismales, maladies inflammatoires digestives, leishmanioses, polychondrite…
  • « Poppers » (amyle nitrite) :
    • substance illicite, interdit en France (Journal Officiel du 28 mars 1990)
    • liquide volatile à usage aphrodisiaque

Toxiques professionnels méthémoglobinisants

  • Nitrobenzène :
    • industries : explosifs, colorants, peintures
    • solvant, odeur amande amère
    • toxicité : MetHb, SulfHb, hémolyse
  • Chlorates :
    • chlorate de sodium NaClO3 (herbicides)
    • chlorate de potassium KClO3
      • anciennes préparations pour solution buccale
      • colorants
      • explosifs (allumette)
    • Dose létale :
      • NaClO3 = 15 g
      • KClO3 = 7 g (1g chez l’enfant ~ 20 allumettes)

Intoxication alimentaire (composés inorganiques)

  • Nitrates :
    • eaux :
      • eaux souterraines : engrais azoté agricole non absorbé
      • eaux de surface : eau potable selon OMS < 50 mg/L NO3– (< 3 mg/L NO2)
    • aliments :
      • naturellement (laitue, épinard)
      • charcuterie (nitrite de sodium)
         

Diagnostic différentiel

  • Cyanose d’origine cardiaque ou pulmonaire
  • Sulfhémoglobinémie (irréversible)
  • Méthémalbuminémie
     

Traitement

TRAITEMENT PREHOSPITALIER / INTRAHOSPITALIER

Eviction du produit, décontamination (selon circonstances)

  • Déshabillage
  • Décontamination cutanée
  • Protection du personnel

Stabilisation initiale

  • Oxygénothérapie au masque à haute concentration 15L/min ou FiO2 100 %
  • Traitement symptomatique des signes cliniques associés :
    • correction de l’HoTA
    • anticonvulsivants
    • contrôle des VA
  • Traitement vacuateur :
    • lavage gastrique
    • charbon activé
  • Bleu de méthylène IV :
    • indications :
      • signes d’hypoxémie
      • MetHb > 30 %

Suivi du traitement

  • Si MetHb < 30 % : possible régression spontanée de la cyanose en 24 à 72 h
  • Correction des symptômes associés à l’hypoxie AVANT la régression de la cyanose
  • Si MetHb > 30 % : amélioration de la clinique dans l’heure suivant l’administration du bleu de méthylène

MEDICAMENTS

Traitement « spécifique » : bleu de méthylène [chlorure de (tétra)méthylthionine 1%]

  • Ampoule de 5 mL à 1 % = 50 mg/amp
  • Modalités :
    • IV stricte (risque de nécrose tissulaire)
    • 1 à 2 mg/kg (nouveau-né 0,3 à 1 mg/kg)
    • dilué dans NaCl 0,9% ou G5%
    • perfusion lente : 10 à 15 min
    • renouvelable à H1 : 1 mg/kg (dose totale maximale 7 mg/kg)
  • Délai d’action : 20 min
  • Surveillance :
    • fonction rénale
    • coloration des urines (bleu, vert)
  • Contre-indications :
    • allergie vraie au bleu de méthylène
    • insuffisance rénale sévère (relative)
    • déficit en G6PD
    • déficit en NADH-réductase
  • Effets indésirables :
    • coloration des téguments (bleue)
    • hémolyse (± déficit en G6PD)
    • en cas de dose excessive :
      • douleur thoracique, abdominale
      • vertige, céphalée, obnubilation
      • dysurie
      • dyspnée
      • HoTA / HTA
  • Echec du traitement par bleu de méthylène :
    • déficit en G6PD
    • déficit en NADPH – MetHb – réductase
    • cyanose non MetHb : aggravation de l’hypoxie tissulaire
    • persistance du toxique
    • sulfhémoglobine (isolée, associée)
    • hémolyse associée (selon toxique)

Traitement d’exception : transfusion et exsanguino-transfusion

  • Indications :
    • pronostic vital immédiat engagé et échec du bleu
    • MetHb massive > 60 – 70 %
    • hémolyse associée
    • sulfhémoglobine (irréversible spontanément)
       

Surveillance

CLINIQUE

  • Disparition des symptômes d’hypoxie
  • Régression de la cyanose cutanéomuqueuse
  • Restauration d’une SpO2 normale
  • Attention à l’effet rebond possible de certains toxiques (dapsone, benzocaïne, aniline : 4 à 12 h après un traitement efficace par bleu de méthylène)

PARACLINIQUE

  • Méthémoglobinémie : dosages répétés 2 à 3 fois par 24 h (cinétique décroissante)
     

Devenir / orientation

EN PREHOSPITALIER

Transport aux Urgences et hospitalisation en Service de Médecine si aucun signe de gravité clinique

  • Systématique pendant 24 h minimum
  • Tant que persistance de la cyanose et MetHb > 1 %

Transport en Réanimation dans les autres cas

EN HOSPITALIER

Critères d’admission en Réanimation

  • Signes d’hypoxie tissulaire grave, détresse circulatoire / respiratoire / neurologique et / ou échec du traitement initial

Critères de sortie

  • Régression complète de la symptomatologie
  • MetHb < 1 %

Ordonnance de sortie

  • Aucune

Recommandations de sortie

  • Education du patient :
    • éviction définitive du toxique incriminé
    • liste des toxiques potentiels à éviter et/ou situations à risque
  • Enquête professionnelle, accident du travail / maladie professionnelle, reclassement
  • Enquête environnementale, signalement (DDASS / DRASS)
     

Mécanisme / description

METABOLISME

  • Accumulation intra-érythrocytaire de méthémoglobine : dérivé non fonctionnel de l’Hb : fer ferreux (Fe2+) de l’hème oxydé en fer ferrique (Fe3+), incapable de lier l’O2
  • Production physiologique quotidienne = 3 % de l’Hb totale
  • 2 systèmes de réduction :
    • voie principale NADH dépendante avec la NADH – cytochrome – b5 – réductase (glycolyse anaérobie => NADH)
    • voie accessoire NADPH dépendante avec la NADPH – MetHb – réductase (glycolyse aérobie via shunt des pentoses => NADPH) utilisant le G6PD
    • voie accessoire activée par le bleu de méthylène
  • Défaillance des systèmes enzymatiques réducteurs :
    • impuissants : hémoglobinopathie
    • anormaux : réduction impossible
    • débordés : intoxication par des agents oxydants

PHARMACODYNAMIE

  • Elimination spontanée physiologique jusqu’à 30 % de MetHb en 24 à 72 h

Bibliographie

  • Danel V. Les intoxications aiguës. Ed. Arnette 1993, Paris, p 49 – 58
  • Carli P., Riou B., Télion C. Urgences Médico – Chirurgicales de l’Adulte. Ed. Masson 2004, Paris p. 1210 – 1214
  • Bauvais P. La méthémoglobinémie héréditaire récessive, Encyclopédie orphanet, fév.2004, http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-mhr.pdf
  • Thomas J. Moore et al. Reported adverse event cases of methemoglobinemia associated with benzocaine products. Arch Intern Med. 2004; 164 : 1192-1196
  • Rudolf B. et al. The use of oxymetry in prilocaine induced methemoglobinemia. Anaesthesist. 1995; 44 (12): 887-891
  • Peter C et al. Pharmocokinetics and organ distribution of intravenous and oral methylene blue, Eur J Clin Pharmacol. 2000, 56 : 247-250
  • Rodriguez LF. Benzocaine induced methemoglobinemia : report of a severe reaction and review of the literature. Ann Pharmacoter. 1994; 28 (5) : 643-649
  • Cury S. Methemoglobinemia. Ann Emerg Med. 1982 ; 11 : 214 – 221

Auteur(s) : Armelle ALHERITIERE, Clotilde CAZENAVE

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