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Envenimation : animaux marins

Spécialité : pediatrie / toxicologie /

Points importants

  • Nombreuses espèces d’animaux venimeux dans le biotope marin, surtout en milieu tropical (le récif corallien est un des biotopes où la concurrence entre espèces est la plus rude, d’où la multiplication des toxines)
  • Quelques espèces venimeuses sur le littoral de France métropolitaine
  • Deux groupes sont à l’origine d’envenimations fréquentes : les poissons et les cnidaires
  • Parmi les poissons venimeux, il faut distinguer les espèces appartenant au groupe des poissons osseux (vives et rascasses) des espèces du groupe des poissons cartilagineux (raies pastenagues et aigles de mer)
  • Les poissons osseux possèdent des aiguillons operculaires et au niveau des nageoires (transformation des rayons des nageoires en aiguillon reliés à des glandes à venin)
  • Les raies venimeuses possèdent un ou plusieurs aiguillons au niveau de la base de la queue
  • Les phénomènes de piqûre et d’injection de venin chez les poissons sont totalement réflexes (et donc non contrôlés par le poisson) ; cela explique le fait qu’un poisson mort depuis peu soit encore capable d’envenimer un poissonnier ou un cuisinier imprudent
  • Les méduses sont les cnidaires les plus souvent impliqués dans des envenimations en Europe ; d’autres cnidaires peuvent être à l’origine d’accidents exceptionnels : physalies, anémones de mer
  • L’appareil venimeux des cnidaires est constitué de cellules spécialisées appelées cnidocystes : cellules contenant un venin qui est injecté par projection d’un « harpon » dont l’action est déclenchée par un cil sensible au contact ; ces cellules sont nombreuses sur les tentacules des méduses

Présentation clinique / CIMU

SIGNES FONCTIONNELS

Signes locaux

  • Une douleur immédiate et intense est systématique en cas d’envenimation par poissons et par cnidaire :
    • pour les méduses, cette douleur est classiquement décrite comme sensation de décharge électrique initiale puis comme une sensation de brûlure
    • pour les poissons, elle est souvent intolérable, irradiant à la racine du membre et parfois syncopale (avec risque de noyade)
    • la douleur après piqûre de vive est si intense qu’elle est souvent à l’origine de prostration paradoxale (enfants)

Signes généraux

  • Les plus souvent liés à l’intensité de la douleur :
    • angoisse, agitation voire état de panique
    • nausées
    • malaise vagal

CONTEXTE

Terrain

  • Les enfants envenimés dans l’eau présentent un risque élevé de noyade même au bord du rivage à cause des états de panique ou des prostrations paradoxales
  • L’intensité des algies peut être à l’origine de décompensation de maladies préexistantes telles les pathologies cardiaques (plusieurs cas décrits de précordialgies)

Antécédents

  • Il n’y a pas d’allergie aux venins de poissons
  • L’évolution biphasique avec nécrose retardée a été à l’origine de notion erronée d’allergie au venin de cnidaire ; il ne s’agit en aucun cas d’allergie (pas de sensibilité individuelle), mais bien d’un effet cytotoxique direct
  • Une seconde envenimation ne sera pas plus grave, seules les quantités de venin libérées peuvent modifier la gravité d’un contact avec une méduse

Circonstances

  • Baignade en pleine eau lors de contact avec des méduses le plus souvent invisibles de la surface
  • Marche sur du sable lors de piqûre de vive
  • Déplacement parmi les rochers lors de piqûres de rascasses
  • Piqûre lors du décrochage d’un poisson pris à l’hameçon
  • Poisson mort mais frais : piqûre du poissonnier ou de la cuisinière
  • Phénomène de défense lors de pêche sous marine (les raies habituellement placide peuvent s’avérer dangereuses si elles sont blessées)

EXAMEN CLINIQUE

Signes locaux

  • Douleur vive et intense, syncopale lors de piqûres de poissons
  • Plaies punctiformes pour vives et rascasses
  • En cas de piqûre de poissons cartilagineux (raies), plaies délabrées avec dilacération des tissus
  • Saignement abondant des points de piqûre lors de piqûre de rascasse
  • En cas de piqûre de méduse, zone érythémateuse aux contours bien définis. Si le patients n’a pas frotté (risque d’étalement des cellules venimeuses et donc de la diffusion du venin), on peut voir nettement les traces laissées par les tentacules
  • Œdème local de développement rapide dans les cas de piqûre de vives uniquement. Cet oedème n’est jamais extensif ou compressif

Signes généraux

  • Plusieurs espèces de poissons et de cnidaires tropicaux possèdent un venin capable d’induire des symptômes systémiques (poissons-pierre, cuboméduses, physalies). Il est ainsi possible d’observer des signes de :
    • cardiotoxicité (troubles de la conduction et du rythme, souffrance myocardique)
    • neurotoxicité (convulsions, paralysie respiratoire) avec des espèces des récifs coralliens
    • cela n’a jamais été observé avec la faune marine européenne
  • Malaise vagal avec nausées, vomissements, hypotension artérielle

CIMU

  • Tri 1 à 2 en fonction de la tolérance à l’intensité des algies, et pour les contacts avec une méduse, de l’étendue des lésions

Signes paracliniques

IMAGERIE

  • Radiographie des parties molles en cas de persistance des algies à la recherche de débris d’aiguillon
  • Cet examen n’est pas systématique car il n’est pas nécessaire dans la grande majorité des cas
  • Ces débris doivent être ôtés de façon chirurgicale car leur persistance peut induire des lésions granulomateuses algiques

Diagnostic étiologique

PIQURE PAR UN ANIMAL MARIN NON IDENTIFIE

  • Lorsque la piqûre a eu lieu dans le milieu marin, l’animal responsable n’est pas identifié dans beaucoup de cas
  • L’identification précise de l’espèce n’est pas vraiment nécessaire car seule la clinique oriente la conduite à tenir
  • Piqûre de poisson osseux :
    • association d’une ou des effractions cutanées punctiformes et d’une douleur immédiate intolérable
  • Piqûre de vive (il existe 5 espèces sur notre Littoral mais l’identification n’apporte rien au thérapeute) :
    • oedème + patient piqué en marchant sur du sable
  • Piqûre d’une rascasse (de nombreuses espèces mais identification sans intérêt) :
    • plaies qui saignent + piqûre parmi les rochers
  • Piqûre de raie, quelque soit l’espèce :
    • la plaie n’est pas punctiforme car les aiguillons barbelés induisent des plaies délabrées parfois de grande taille
  • Piqûre de méduse :
    • contexte associant une sensation de décharge électrique lors d’une baignade en pleine eau
    • développement d’une zone érythémateuse bien délimitée
    • l’identification de l’espèce n’a pas d’intérêt

Diagnostic différentiel

MORSURE PAR UN ANIMAL

  • Les murènes sont susceptibles de mordre un baigneur sur le littoral français (accidents très rares en dehors des cas concernant des poissons blessés lors de pêche sous marine)
  • Il n’y a pas véritablement de venin, mais la douleur locale est plus importante que ne le laisse supposer les lésions
  • L’aspect local avec traces des dents permet de poser facilement le diagnostic
  • Le traitement de telles morsures très septiques est uniquement symptomatique

LESIONS CUTANEES APRES UNE BAIGNADE

  • Prurit et érythème diffus sans limitation précise et sans signe général : évoquer un problème parasitaire à type dermite des baigneurs (pénétration sous cutanée de larves de schistosomes lors de bilharzioses aviaires – canards, goélands)
  • Irritation cutanée diffuse accompagnée de signes ORL (rhinorrhée, larmoiement, gène respiratoire) avec parfois un pic hyperthermique : évoquer un problème d’efflorescence de l’algue unicellulaire Ostreopsis ovata
  • Le contexte d’atteinte épidémique et de bloom bien visible permet de poser le diagnostic

Traitement

TRAITEMENT PREHOSPITALIER/INTRAHOSPITALIER

En cas de piqûre de poisson osseux

  • Mettre la victime au repos, la calmer
  • Désinfecter dès que possible la plaie
  • Neutralisation de l’activité algique du venin : la variation brutale de la température locale présente une efficacité spectaculaire (thermolabilité supposée des venins de poissons). Le protocole utilisé en Méditerranée est simple et peut être effectué sur le lieu de l’envenimation :
    • approcher une source de chaleur (cigarette sur la plage, sèche cheveux à la maison) durant 2 min, puis appliquer une source de froid (glaçon, cannette de soda glacée) durant 2 à 3 min. C’est le passage du chaud au froid qui réduit presque instantanément l’intensité des algies
    • il ne faut pas appliquer la source de chaleur pour ne pas brûler le patient. Il est d’ailleurs inutile d’obtenir une température très élevée : 45 à 50°C suffisent largement, ce qui est en dessous du seuil de la douleur. Lorsque cette pratique est bien faite, il n’y a aucun risque de brûlure
    • en Amérique du nord, l’approche d’une source de chaleur est remplacée par un bain d’eau chaude. Cette pratique ne permet pas d’ajuster la température comme on peut le faire avec une source ponctuelle de chaleur qui est plus ou moins éloignée de la plaie en fonction de la tolérance du patient. Le risque de brûlure cutanée paraît plus élevé avec les bains d’eau chaude
    • l’alternance de chaud/froid est d’autant plus efficace qu’elle est rapidement effectuée. On considère classiquement qu’au-delà de 3 h, le venin a diffusé et cette pratique ne sert plus à rien. Entre 1 et 3 h, il est parfois nécessaire de répéter ce traitement pour obtenir une efficacité
  • Si la variation locale de température est correctement réalisée, les symptômes disparaissent en quelques dizaines de minutes et une consultation aux urgences n’est plus nécessaire. Plusieurs articles font état de l’utilisation à l’hôpital d’anesthésiques lors de la prise en charge de tels patients envenimés (anesthésies bague, bloc plexique), le plus souvent associés à des antalgiques d’action centrale. Les algies disparaissent alors en environ 24 h, ce qui correspond en fait à l’évolution spontanée habituelle de l’envenimation sans traitement. Ces traitements qui imposent une hospitalisation ne doivent être envisagés que lors de prises en charge tardives de patients qui ne peuvent plus bénéficier de la variation brutale de température
  • Si douleurs et oedème persistent, il faut évoquer la possibilité de persistance sous-cutanée de débris d’aiguillon que l’on confirmera par une radiographie des tissus mous

En cas de piqûre de poissons cartilagineux

  • Mettre la victime au repos, la calmer
  • Désinfecter dès que possible la plaie
  • Les raies venimeuses du littoral français sont de grande taille (grands aiguillons) et le venin est donc injecté profondément et dans une plaie délabrée. La méthode de variation locale de température n’a pas montré d’efficacité pour calmer les algies dans de telles situations. Cette méthode est cependant utilisée avec succès en milieu tropical où des espèces des récifs coralliens sont caractérisées par une petite taille et des lésions locales comparable à ce que l’on observe en Europe avec les poissons osseux
  • Antalgiques d’action centrale
  • Reprise chirurgicale avec ablation des débris d’aiguillon et parage de la plaie
  • Les complications à type d’infection ne sont pas rares lors de piqûre de raies (alors que les infections sont exceptionnelles avec les poissons osseux). Avertir le patient du risque et prescrire des antibiotiques au moindre doute

En cas de contact avec une méduse

  • Le but du traitement est d’éviter la libération de la totalité du venin (on considère qu’en cas de contact avec les tentacules, 10 à 15% du venin seulement est libéré). Le fait de frotter stimule l’ensemble des cnidocystes qui libèrent alors tout le venin. Dans ce cas, il est fréquent d’observer une évolution biphasique avec nécrose retardée
  • Empêcher la victime de se frotter
  • Bien rincer la zone concernée à l’eau de mer (l’eau douce hypo-osmotique fait éclater les cnidocystes, ce qui présente les mêmes conséquences que le fait de se frotter)
  • Saupoudrer de sable sec qui, en contact avec la peau humide, va former un placard piégeant les tentacules restés accrochés à la peau (la mousse à raser utilisée dans les postes de secours en Aquitaine possède la même efficacité lorsqu’elle est appliquée sur les lésions)
  • Le placard de sable ou de mousse est ensuite ôté grâce à un morceau de carton rigide
  • Second rinçage à l’eau de mer
  • Application de solution d’acide faible (le plus simple sur la plage est de trouver une vinaigrette qui contient de l’acide acétique en quantité suffisante pour « cuire » les fragiles toxines protéiques des cnidaires)
  • Troisième et dernier rinçage à l’eau de mer
  • Le reste du traitement est identique à celui d’une brûlure thermique du premier degré (antiseptiques locaux et topiques cicatrisants)

SUIVI DU TRAITEMENT

  • En milieu tropical les envenimations par animaux marins s’infectent souvent. En Europe, les infections sont rares. La prescription systématique d’antibiotique est donc abandonnée en France métropolitaine et il n’est conseillé de n’utiliser de tels médicaments qu’en cas d’infection patente
  • Le parage de la plaie avec chirurgie est nécessaire lors d’envenimation par raie avec délabrement des tissus

MEDICAMENTS

  • Antalgiques : paracétamol, antalgiques d’action centrale, mais efficacité modérée
  • Antibiotiques : pénicillines M (l’oxacilline est la plus utilisée) uniquement en cas de complication infectieuse patente
  • Topiques cicatrisants

Surveillance

CLINIQUE

  • En cas de piqûre de poissons, la persistance de la douleur locale et de l’oedème doit faire évoquer la présence dans la plaie de débris d’aiguillons ; la mise en évidence de la présence de tels débris sur la radiographie des tissus mous doit amener à une ablation
  • En Europe, les piqûres de poissons sont rarement compliquées d’infection, mais cela reste possible, surtout avec les raies
  • L’antibiothérapie systématique n’est préconisée qu’en milieu tropical ; en Europe, le patient sera averti du risque infectieux
  • Lors de contact avec des méduses, si de grandes quantités de venin ont été libérées, il est possible d’observer après un retour à la normale de plusieurs jours une évolution nécrotique de la zone initialement érythémateuse : la cicatrisation est alors de mauvaise qualité, avec souvent des pigmentations séquellaires

Devenir / orientation

EN PREHOSPITALIER

  • Le transport aux urgences est inutile dans la majorité des cas
  • Une consultation auprès du médecin traitant peut être demandée si un patient qui a été en contact avec une méduse s’est frotté les lésions (risque élevé de nécrose cutanée secondaire)

EN INTRAHOSPITALIER

Critères d’admission en réanimation

  • De façon exceptionnelle, des cas d’atteinte faciale (piqûre de poissons ou de méduses autour du masque chez des plongeurs) peuvent nécessiter une surveillance en soins intensifs
  • Les piqûres de physalie (ou galère portugaise) sont rares. La toxicité systémique potentielle de ces cnidaires occasionnellement rencontrés sur nos côtes peut indiquer une surveillance en soins intensif si les lésions cutanées concernent une surface de peau étendue

Critères de sortie

  • Dès l’amélioration des douleurs locales pour les piqûres de poissons
  • Lorsque les lésions cutanées sont stabilisées ou en voie de régression pour les piqûres de méduses

Mécanisme / description

  • Le venin des poissons est complexe :
    • toxines protéiques stimulant les fibres sensitives (molécules « pain-libératrices »)
    • nombreuses enzymes (phosphatases, protéases, lipases)
    • sérotonine, histamine, adrénaline, tryptamine
  • Le venin des cnidaires est riche en cytotoxines à l’origine des effets immédiats et des phénomènes de nécrose retardée

Bibliographie

  • Bédry R, de Haro L. Vertébrés aquatiques venimeux. Méd Trop (Mars) 2007, 67 : 111 – 6
  • Bédry R, de Haro L. Invertébrés marins venimeux. Méd Trop (Mars) 2007, 67 : 223 – 31
  • Bédry R, de Haro L. Envenimations par animaux venimeux marins en France métropolitaine. JEUR 2007, 20 : 147 – 52
  • De Haro L, Prost N, Arditti J, David JM, Valli M. Efficacité du « choc thermique » dans le traitement des envenimations par vives et rascasses. JEUR 2001, 14 : 171 – 3

Auteur(s) : Luc de HARO

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