Spécialité : pediatrie / toxicologie /
Points importants
- Nombreuses espèces de couleuvre en France, une seule véritablement venimeuse (la couleuvre de Montpellier, Malpolon monspessulanus) mais les envenimations sont exceptionnelles car crochets venimeux postérieurs ne permettant pas l’injection du venin à un humain
- 4 espèces de vipères en France, 2 inoffensives pour l’homme (Vipera ursinii et Vipera seoanei), 2 potentiellement dangereuses, la vipère aspic (Vipera aspis) et la vipère péliade (Vipera berus)
- Le venin des 2 espèces dangereuses est proche et les envenimations induites sont caractérisées par le même tableau clinique et le même protocole thérapeutique. Il est donc inutile d’essayer d’identifier l’espèce
- 50% des morsures de vipères sont dites blanches ou sèches (sans injection de venin, Grade 0)
- Les morsures de vipères ne durent que quelques dixièmes de seconde. Il est donc fréquent que la victime n’ait jamais vu de serpent
Présentation clinique / CIMU
SIGNES FONCTIONNELS
Signes locaux (Grade 1)
- Si injection de venin, douleur intense et immédiate de façon constante
- Œdème local de développement rapide. 1 à 2 traces de pénétration des crochets
- La majorité des envenimations reste à ce stade (Grade1). Pour 10 à 15% des cas, le venin diffuse et des signes généraux apparaissent soit rapidement (Grade 2 précoce) soit après 10 à 20 heures (Grade 2 classique)
Signes locorégionaux et généraux (Grade 2)
- Œdème extensif, lymphangite, adénopathie, phlyctènes
- Nausées, vomissements, douleurs abdominales
- HoTA, sensation de malaise
- Possibilité d’observer dans certaines régions de France des signes de neurotoxicité (ptosis, ophtalmoplégie, diplopie, dysphagie…)
- L’apparition de diarrhée est de mauvais pronostic (passage en Grade 3)
Signes locorégionaux et généraux (Grade 3)
- Œdème dépassant la racine du membre mordu, plusieurs litres d’œdème (troisième secteur), nécrose locorégionale
- Insuffisance rénale (tubulopathie ou néphropathie glomérulaire)
- Œdème lésionnel pulmonaire hémorragique
- Epanchements pleuraux
- Hémorragies diffuses
CONTEXTE
Terrain
- Toute la population française est concernée, à l’exception de la Corse où il n’y a pas de vipère
- Les femmes enceintes (toxicité fœtale du venin) et les enfants (petit poids) sont des patients à risque
Antécédents
- L’allergie au venin de vipère nécessite une exposition préalable, les cas sont donc très rares (risque d’être envenimé 2 fois est très bas pour la population générale, seuls les professionnels sont concernés)
- Pas d’allergie croisée avec le venin d’hyménoptère
Circonstances
- Début des signes en pleine nature ou dans un jardin
- Le fait d’avoir vu un serpent simplifie le diagnostic
- Manipuler un serpent est tout particulièrement dangereux (le serpent effrayé vide ses glandes à venin)
EXAMEN CLINIQUE
Gradation doit être effectuée dès la prise en charge médicale
- Signes locaux sans signe général : Grade 1 :
- douleur immédiate et vive, œdème local
- Signes locorégionaux : Grade 2 ou 3 :
- 10 à 15% des Grades 1 se transforment en Grades 2
- œdème extensif : oedème atteignant le segment supérieur du membre mordu. Cette extension est classiquement observée 6 à 12 h après la morsure. L’utilisation d’une marque au stylo feutre permet de vérifier la vitesse d’extension. Un œdème atteignant le tronc ou le segment céphalique implique une gradation au niveau 3
- adénopathie et lymphangite remontant à la racine du membre sont des témoins de la diffusion du venin
- nécrose et phlyctènes sont possibles au grade 3
- Signes généraux : Grade 2 ou 3 :
- nausées, vomissements, diarrhée
- HoTA, sensation de malaise, angoisse
- atteinte des nerfs faciaux (signes de neurotoxicité dans certaines régions de France)
- hémorragies au grade 3
- oedème pulmonaire lésionnel au grade 3
CIMU
- Tri 1 à 3 en fonction de la diffusion du venin
Signes paracliniques
BIOLOGIQUE
- NFS : hyperleucocytose (Fréquente hyperleucocytose qui n’est pas un critère de gravité), thrombopénie
- Ionogramme sanguin : perturbations importantes en cas de formation d’un troisième secteur (grade 3)
- Hémostase (plaquettes, TP, fibrinogène, produits de dégradation de la fibrine). Les anomalies majeures de la coagulation ne sont observées que dans les grades 3
- Bilan rénal (créatininémie, hématurie, protéinurie) perturbé et CIVD au grade 3
IMAGERIE
- Radiographie du thorax : œdème pulmonaire lésionnel au grade 3
- Echo-doppler des vaisseaux du membre mordu : contrairement à d’autres serpents, les vipères européennes ne sont pas responsables d’œdème compressif. Le risque d’ischémie est faible. De même, le risque de phlébite lors de morsure au niveau d’un membre inférieur est faible et ne doit être pris en compte que chez des patients alités
Diagnostic étiologique
MORSURE PAR UN ANIMAL NON IDENTIFIE
- Le contexte associant une effraction cutanée, une douleur immédiate vive et un œdème local se développant en quelques minutes permet de poser le diagnostic d’envenimation vipérine car aucun autre animal de la faune française ne peut être à l’origine d’un tel tableau quasi instantané
- La présence de 2 traces de pénétration des crochets espacés de 5 mm environ est un argument de plus. Attention, lorsque l’œdème se développe, cet espace peut être augmenté. La présence d’une seule trace de crochet est fréquente
MORSURE PAR UN SERPENT
- Si la victime a vu le serpent qui a mordu, seule la clinique permet de poser le diagnostic d’envenimation :
- il n’y a ni douleur ni œdème mais juste une gêne entrainée par l’effraction cutanée : soit il s’agit d’une morsure blanche de vipère (grade 0) soit il s’agit d’une couleuvre. Le risque étant nul dans tous les cas (pas de transformation tardive de grade 0 en grade 1), le diagnostic d’envenimation est écarté
- des signes locaux sont immédiatement présents : au moins grade 1, donc diagnostic d’envenimation vipérine
Diagnostic différentiel
MORSURE PAR UN AUTRE ANIMAL
- La lycose de Narbonne (Lycosa narbonensis) est la plus grosse araignée de la faune française. Sa morsure laisse 2 traces espacées de 3 à 4 mm et entraîne un œdème local important. Cependant, le venin peu riche en enzymes n’induit qu’une douleur minime qui permet d’écarter le rôle d’une vipère. Cette espèce n’est présente que sur le pourtour méditerranéen
- La scolopendre européenne (Scolopendra cingulata) est fréquente au sud de la France. Les morsures sont douloureuses et les traces laissées par les crochets ressemblent à une morsure de vipère. Cependant, l’œdème engendré est toujours minime et il n’y a jamais de diffusion du venin (donc jamais de signe général en dehors de l’angoisse)
AUTRES CONTEXTES
- Ecorchure lors d’une promenade dans la nature : plusieurs plantes sont capables d’induire lors d’écorchures des signes locaux (œdème et douleur) parfois importants (plusieurs espèces d’euphorbes, de rues, de palmiers et de yuccas). Le contexte permet d’écarter le diagnostic d’envenimation vipérine (pas de notion de morsure, les signes ne sont ressentis qu’après plusieurs dizaines de minutes et le patient ne se souvient généralement pas d’un évènement particulier)
- Le contexte aigu permet toujours d’écarter un problème infectieux (érysipèle, gangrène…)
Traitement
SUR LE LIEU DE LA MORSURE
- Mettre la victime au repos. Toute activité motrice est susceptible de favoriser la diffusion du venin
- Avertir les secours. En cas d’éloignement de tout moyen de communication, la victime peut être transportée s’il s’agit d’un enfant, mais peut être aussi laissée sur place avec une tierce personne
- Enlever tous les garrots potentiels (montres, bracelets) et si possible désinfecter et glacer la plaie
- Un bandage non serré peut être posé de la racine du membre vers la périphérie afin de ralentir la diffusion lymphatique du venin. Il faut toujours pouvoir passer un doigt entre la peau et la bande. Si l’on pense que cette manœuvre risque d’être mal effectuée, il vaut mieux ne pas la préconiser plutôt que risquer de réaliser un garrot
- Ce qu’il ne faut pas faire :
- gêner la vascularisation avec un garrot ou un tourniquet
- favoriser la diffusion du venin (boissons tachycardisantes tels le thé ou le café, gestes d’un autre temps à type d’incision, d’aspiration ou de cautérisation)
- injecter un antivenin en dehors d’une structure hospitalière
- l’utilisation d’emblée d’héparine ou de ses dérivés semble aussi favoriser la diffusion du venin
- Ce qui n’a pas d’intérêt :
- les corticoïdes n’apportent rien
- les systèmes d’aspiration type Aspivenin sont incapables de retirer un venin injecté sous pression
LORS DU TRANSPORT VERS L’HOPITAL
- Le transport vers l’hôpital est systématique car la gradation de l’envenimation doit être faite aux urgences
- Une vessie de glace améliore le confort du patient
- Une VVP doit être posée pour un éventuel remplissage en cas d’HoTA
- Antalgiques conseillés
A L’HOPITAL
- L’examen clinique et l’interrogatoire permettent d’attribuer un grade à l’arrivée
- Le bilan biologique complète l’évaluation (hémogramme, hémostase, fonction rénale)
- Si le patient est en grade 0, une surveillance de 2 à 6 h peut être proposée. Il est improbable d’observer l’évolution d’un grade 0 vers un grade 1. Le patient doit être averti des risques infectieux
- Si le patient est en grade 1, une hospitalisation de 24 h s’impose. Du venin a été injecté, mais il est impossible de prévoir l’évolution à ce stade. Prescription de traitements symptomatiques :
- antalgiques
- vessie de glace
- membre surélevé et immobilisé
- antibiotiques si besoin
- Si le patient arrive à l’hôpital en grade 2 ou 3, ou s’il y a évolution lors de l’hospitalisation vers un grade 2, le seul traitement efficace est l’antivenin. Il n’y a aucune contre-indication formelle à ce traitement antidotique et il n’y a aucun argument sérieux permettant d’écarter son utilisation
SUIVI DU TRAITEMENT
- Antalgiques à répéter autant que besoin
- La place des antibiotiques est sujette à discussion. Si en milieu tropical les morsures de serpent s’infectent toujours, en Europe, les infections sont rares. La prescription systématique d’antibiotique est donc abandonnée en France métropolitaine et il n’est conseillé de n’utiliser de tels médicaments qu’en cas d’infection patente
- La chirurgie n’a plus sa place dans la prise en charge des envenimations vipérines : les aponévrectomies de décharge autrefois préconisées ne sont plus conseillées (le venin des vipères européennes n’engendre pas d’œdème compressif et l’antivenin permet toujours une rapide baisse de l’intensité de l’œdème)
- L’héparine ou dérivés à bas poids moléculaire peuvent être prescrits en cas de décubitus prolongé (grade 3 après morsure au niveau d’un membre inférieur) ou lors de CIVD en grade 3
MEDICAMENTS
- Antalgiques : paracétamol, antalgiques d’action centrale
- Antibiotiques : pénicillines M (l’oxacilline est la plus utilisée)
- Antivenin : Un seul commercialisé en France métropolitaine, Viperfav :
- fragments F (ab’)2 d’anticorps de chevaux immunisés contre le venin des vipères européennes
- AMM : Réservé à l’usage hospitalier
- purification élevée (abandonner l’appellation « sérum » et utiliser uniquement le terme antivenin, car ce produit ne contient que des fragments d’anticorps spécifiques). Sécurité virale assurée par chauffage
- utilisation par voie IV uniquement, la seule véritablement efficace
- 1 kit de perfusion d’une ampoule de 4 mL de fragments d’anticorps à diluer et à administrer en IV lente d’une heure environ
- 1 kit suffit par envenimation (pouvoir de neutralisation du Viperfav élevé : 1000 DL50 pour les 2 espèces dangereuses de métropole). Il est inutile de répéter les perfusions (abandon de l’ancien protocole indiquant une perfusion toutes les 4 heures jusqu’à obtention d’une diminution de l’œdème)
- le risque de réaction allergique après utilisation de Viperfav est réel mais très bas : cas exceptionnels d’éruption urticarienne ou d’arthralgie ; aucun cas connu de choc anaphylactique ou de véritable maladie sérique malgré plusieurs milliers d’ampoules injectées depuis la commercialisation
- si la victime est une femme enceinte, l’antivenin est tout particulièrement indiqué à cause de la toxicité fœtale du venin
- les quantités d’antivenin nécessaires ne dépendent pas de la victime mais du venin inoculé : les doses sont donc les mêmes si la victime est un enfant, seul varie le volume de sérum physiologique dans lequel l’antivenin est dilué
Surveillance
CLINIQUE
- Grade 0 : Retour à domicile rapide, antibiotiques si besoin.
- Grade 1 : Après 24 h de surveillance à l’hôpital sans signe d’aggravation, transformation en grade 2 improbable. Retour à domicile dès que possible avec prescriptions de traitement symptomatiques de confort (antalgiques, vessie de glace, antibiotiques si besoin)
- Grade 2 ou 3 :
- après utilisation d’un kit de perfusion de Viperfav, surveillance des rares symptômes d’allergie et si c’est le cas, traitement symptomatique
- avertir le patient des risques de maladie sérique dans les jours qui suivent la perfusion. En cas d’arthralgies, préconiser un retour à l’hôpital pour vérifier la fonction rénale
- l’efficacité du Viperfav est spectaculaire pour les grades 2 avec rapide disparition des signes généraux et régression en quelques heures des signes locorégionaux
- pour les grades 3 avec lésions tissulaires installées, l’efficacité est moins rapide mais bien réelle. Cette notion explique qu’en cas de gradation au niveau 2, il faut injecter le Viperfav le plus vite possible et ne pas attendre une aggravation qui est le témoin de lésions tissulaires
Devenir / orientation
EN PREHOSPITALIER
- Le transport aux urgences est systématique pour effectuer la gradation
- Le transport directement en réanimation est exceptionnel et ne concerne que les grades 3 précoces (cas exceptionnels d’injection intra-vasculaire directe du venin avec complications systémiques immédiates, 1 cas en France tous les 2 à 5 ans) ou les patients qui restent à domicile et ne contactent les secours alors qu’ils présentent des complications
EN INTRAHOSPITALIER
Critères d’admission en réanimation
- Un grade 3 est, sauf exception, un grade 2 que l’on a laissé évoluer sans traitement par antivenin, ce qui ne devrait plus exister vu le protocole actuel. Seuls les patients en grade 3 nécessitent une prise en charge en soins intensifs à cause des nombreuses complications organiques
Critères de sortie
- Grade 0 : après 4 à 6 h de surveillance, retour à domicile si pas d’anomalie
- Grade 1 : après 24 h de surveillance si pas d’aggravation, retour à domicile avec traitements symptomatiques
- Grade 2 ou 3 : après utilisation de l’antivenin, retour à domicile possible dès le lendemain de la perfusion si :
- disparition des signes généraux
- normalisation des perturbations biologiques
- début de régression de l’œdème et des signes locorégionaux. Une fois l’amélioration de l’œdème débutée, il est improbable d’observer une aggravation secondaire. Inutile d’attendre une disparition complète des signes locaux pour autoriser le retour à domicile
Mécanisme / description
Le venin des vipères européennes est une sécrétion riche en enzymes
- Kininogénases favorisant la libération de bradykinine hypotensive
- Hyaluronidases à l’origine de la diffusion du venin (œdème extensif)
- Protéases responsables des phénomènes d’exodigestion (nécrose, phlyctènes)
- Facteurs procoagulants induisant les troubles de l’hémostase
- Pour quelques populations de vipères (Alpes Maritimes, Alpes de Haute Provence, Lozère…), présence de neurotoxines de type phospholipases A2
Algorithme
Gradation clinique et conséquences thérapeutiques des envenimations vipérines en Europe
- Grade 0 :
- envenimation : morsure blanche ou sèche
- trace des crochets, pas de signe local (pas d’injection de venin)
- consultation médicale, antibiotiques si besoin
- Grade 1 :
- envenimation : minime
- œdème local, absence de symptôme général
- hospitalisation au moins 24 h, traitements de confort
- Grade 2 :
- envenimation : modérée
- œdème extensif et/ou signes généraux modérés
- anti venin
- Grade 3 :
- envenimation : grave
- œdème géant atteignant le tronc et signes généraux sévères
- anti venin et soins intensifs
Bibliographie
- De Haro L, Lang J, Bedry R, Guelon D, Harry P, Marchal-Mazet F, Jouglard J. Envenimations par vipères européennes. Etude multicentrique de tolérance du Viperfav*, nouvel antivenin par voie intraveineuse. Ann Fr Anesth Réanim 1998, 17 (7): 681 – 7
- De Haro L. Les envenimations par les serpents de France et leur traitement. Presse Méd 2003, 32 : 1131 – 7
- Ferquel E, de Haro L, Jan V, Guillemin I, Jourdain S, Teynié A, d’Alayer J, Choumet V. Reappraisal of Vipera aspis venom neurotoxicity. PloS ONE 2007, 2 (11) : e1194
- Harry P, de Haro L, Asfar P, David JM. Evaluation de l’immunothérapie anti-vipérine par fragments F(ab’)2 purifiés (ViperfavTM) par voie veineuse. Presse Méd 1999, 28 (35): 1929 – 34
Auteur(s) : Luc de HARO
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